Le Temps envoie une série d'articles sur le hockey cette semaine. Le premier, ce jour, consacré au CP Bääääääääääääääää¨rn
CP Berne, la secrète recette du succès
Depuis la fin des années 90, le club de hockey sur glace bernois a investi le secteur de la gastronomie pour se développer. Résultat(s): vingt ans de chiffres noirs, un budget qui oscille entre 55 et 60 millions de francs et trois titres de champion de Suisse ces quatre dernières années
sur glace bernois a investi le secteur de la gastronomie pour se développer.
A l’heure de la reprise du hockey sur glace en Suisse, «Le Temps» explore pendant une semaine les coulisses de son succès, entre modèles économiques singuliers, joueurs charismatiques et histoires fascinantes.
En avril dernier, le CP Berne (SCB, pour SC Bern, en allemand) a remporté le titre de champion de Suisse pour la seizième fois de son histoire, la cinquième en dix ans. Seuls Zurich (trois fois) et Davos (deux) ont pu ravir au monarque sa place sur le trône. Mais au-delà des sacres, le club de la capitale reste la référence absolue de la National League, notamment parce qu’il peut se vanter d’un bilan comptable positif depuis vingt ans.
Le modèle SCB attise bien sûr les convoitises des autres organisations, qui aimeraient elles aussi pouvoir gagner de l’argent. Ce qui est tout sauf acquis en sport, contrairement aux idées reçues. Cette rentabilité représente le véritable tour de force des Bernois.
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Le grand architecte de cette réussite, ou tout du moins l’homme qui attrape la lumière, se nomme Marc Lüthi. Sans sa vision entrepreneuriale imposée à la fin des années 90, le SCB aurait eu de la peine à accumuler les succès. Lorsqu’il décide en 2002 de développer le secteur de la gastronomie, les autres clubs en sont encore au stade des buvettes. Le CP Berne, de son côté, ne va plus se contenter de gérer le restaurant de la patinoire et les points de vente de bière et de saucisses: il va s’étendre hors de ses murs, investir la ville et une partie du canton. Aujourd’hui, le club gère plus d’une quinzaine de restaurants.
Et là où ses dirigeants ont été malins, c’est lorsqu’ils ont demandé à leurs fournisseurs d’investir dans le sponsoring. Un système de contre-affaire efficace, qui pousse les entreprises à collaborer par crainte de perdre de juteux mandats.
Pas d’obstination
«Il est toujours très difficile de gagner de l’argent avec le sport, avance Marc Lüthi. Nous avons des frais au niveau des infrastructures [eau, gaz, location de la patinoire pendant vingt ans] de plus de 4 millions par année. Rapperswil, par exemple, ne paie que le nettoyage, le reste est offert par la commune. Ici, ça fonctionne parce que ça fait vingt ans qu’on travaille comme ça. Je dis toujours que chaque club doit trouver une solution avec ce qu’il a. Il ne faut pas copier. Zoug et Zurich ont eux aussi trouvé des modèles qui fonctionnent.»
Figure emblématique et tutélaire du SCB, incarnation de son renouveau et de son modèle d’affaires, Marc Lüthi a surtout su s’entourer des bonnes personnes. Par exemple Rolf Bachmann, le Chief Operating Officer, qui se démène dans l’ombre pour que tout fonctionne une fois les projecteurs allumés. «La force de Berne et de Marc Lüthi, c’est d’avoir su développer un pôle de compétences, admire Sacha Weibel, directeur général du Lausanne Hockey Club. Quand, à Berne, ils voient qu’une opération ne génère pas assez de bénéfices ou que finalement cela ne va pas comme ils veulent, ils ne s’obstinent pas, ils passent à autre chose.»
Avec sa nouvelle patinoire, le club vaudois va largement augmenter son chiffre d’affaires relatif à la gastronomie. Tout en restant loin du modèle bernois, ainsi que l’a évoqué Sacha Weibel lors de la conférence de presse d’avant-saison: «Lorsque la nouvelle enceinte sera fonctionnelle, on va passer de 1,5 million de francs à un montant compris entre 8 et 9 millions. Si Berne peut se passer de l’aide d’un mécène et gagner de l’argent, c’est parce qu’il affiche un chiffre d’affaires de plus de 50 millions de francs. Ce n’est qu’à cette hauteur-là que c’est faisable.»
Des affluences qui donnent le tournis
Il ne faut toutefois pas perdre de vue un élément central de cette réussite: la force du nombre. Berne peut en effet se targuer de posséder la meilleure moyenne de spectateurs en Europe avec un chiffre qui impose le respect: 16 290. Et sur ce total vertigineux, on compte 13 000 abonnés. C’est un plafond fixé par le club, qui souhaite qu’il reste assez de billets pour les supporters occasionnels.
«Places VIP et assises sont sold out, mais on ne pourrait pas avoir que des abonnés, précise Marc Lüthi. On pourrait peut-être monter à 14 000 ou 15 000 abonnés. Seulement, on a besoin d’argent en play-off pour payer les primes si on va en demi-finale ou en finale. Et ce n’est possible qu’en vendant des billets. Le modèle parfait, c’est le Bayern Munich. Ils ont 60% d’abonnés. Le reste, c’est les gens qui paient leur place à chaque match. On devrait faire ça. Cela ferait environ 10 000 abonnés. Mais en même temps, on ne peut pas refuser un abonnement à quelqu’un… On dit dix fois merci à ceux qui en achètent un.»
Fait intéressant, Berne compte environ 1500 abonnés romands, soit plus de 10% du total. Capable de ratisser large, le club de la capitale fait de l’ombre à ses cousins cantonaux, Langnau et Bienne. «Ils ont un fonctionnement très professionnel, explique la coprésidente biennoise, Stéphanie Mérillat. Un modèle unique en Suisse. Avant que l’on puisse bénéficier de notre nouvelle patinoire, ils pouvaient proposer d’autres produits que nous aux sponsors. En ayant récupéré la gestion du secteur gastronomie depuis deux ou trois saisons, on arrive à générer davantage d’argent et on est fier de notre budget de 17 millions.»
La culture de la gagne
Ce qui marche aujourd’hui ne fonctionnera pas forcément demain. Alors même si Berne avance des chiffres noirs, le club se remet toujours en question: «On cherche en permanence de nouvelles idées. On planifie trois, quatre, cinq ans en avance. Mais on ne communique pas à ce sujet. On ne communique que quand c’est du concret.»
Impressionnante machine, Berne se nourrit de ses succès pour bâtir un état d’esprit de gagnant. «Quand on arrive en play-off, on ne pense plus au marketing mais uniquement au sport, résume Marc Lüthi. Et les victoires sportives sont les meilleurs coups marketing en vue de la saison d’après.»
Le CEO bernois conclut d’ailleurs sur une anecdote qui résume parfaitement cette culture de la gagne: «C’était il y a une dizaine d’années. On avait dominé la saison régulière comme jamais, mais on avait perdu en quart de finale des play-off. Le lendemain de la défaite, on était réuni au restaurant avec l’équipe pour faire le bilan. Le capitaine d’alors, un type plutôt imposant, s’étonnait qu’il n’y ait pas de dessert. Il a appelé l’un des serveurs. Le serveur, assez petit, s’est planté devant lui et lui a dit en le regardant dans les yeux: pas de demi-finale, pas de dessert! Ça montre que tout le monde est concerné dans le club.»
J'aime beaucoup la dernière anecdote