Re: Nouvelles diverses sans grande importance
Publié : lun. 16 sept. 2019 13:58
En route pour l'épisode 5, consacré à Ambri !
Ambri-Piotta, que la montagne est belle!
Pourquoi ce club sans palmarès, basé entre deux hameaux d’une vallée tessinoise isolée et évoluant dans une patinoire vétuste, fascine-t-il toute la Suisse? Eh bien, la réponse est dans la question
A l’heure de la reprise du hockey sur glace en Suisse, «Le Temps» explore pendant une semaine les coulisses de son succès, entre modèles économiques singuliers, joueurs charismatiques et histoires fascinantes.
L’histoire du HC Ambri-Piotta mêle la glace et le feu. Il y a le froid qui engourdit les corps dans les tribunes d’une Valascia ouverte aux quatre vents. Et puis la chaleur qui emporte les âmes les soirs de victoire quand le public entonne La Montanara en chœur avec les joueurs de l’équipe.
Il faudrait, dit-on, être mort à l’intérieur pour pénétrer dans la vieille patinoire sans rien ressentir. Sans être à son tour ensorcelé par ce temple de tôle et de béton qui n’a rien en commun avec les arènes sportives modernes. Par ce club qui défie ce que trente ans de professionnalisme ont enseigné aux dirigeants du hockey suisse en matière d’accessibilité, d’hospitalité, de catering. Et pourtant il existe, il résiste, il excite. La glace de la Valascia et le feu de ceux qui y communient fascinent, loin à la ronde.
Le directeur sportif Paolo Duca sait toute la symbolique de ce maillot biancoblù qu’il a porté durant les trois premières et les dix dernières saisons de sa carrière d’attaquant. «Cette équipe est différente, tout simplement parce que sa réalité n’est pas la même que celle des autres, pose-t-il. Ambri-Piotta subsiste dans le sport moderne sans en respecter les règles, avec des moyens limités mais sans renoncer à ses valeurs. Il représente une certaine identité montagnarde, et un idéal de travail, de lutte, de résistance.»
Comme une anomalie
Ce club est aussi l’antithèse de la «franchise» à l’américaine, qui peut être délocalisée au gré d’un prosaïque changement de propriétaire. Le mythe du HC Ambri-Piotta tient pour bonne part à son ancrage local, dans la vallée de la haute Léventine, à 1000 mètres d’altitude. Ambri et Piotta comptent parmi les dix hameaux de Quinto, 1044 habitants au total, une de ces nombreuses communes périphériques que le développement des grands axes livre à elles-mêmes.
«Cette région symbolise cette Suisse où l’on s’arrête de moins en moins, cette Suisse des trains qui passent vite, souvent par en dessous, regrette l’écrivain (et grand passionné de sport) Michaël Perruchoud. Il y a dans notre pays des régions qui sont dépouillées de tout, qui n’ont plus de gare, plus de poste. Mais en Léventine, il reste au moins Ambri-Piotta. L’histoire de ce club est belle car elle est atypique, et importante.»
Le palmarès de l’organisation affiche bien une lointaine Coupe de Suisse (1962) mais aucun titre de champion. Ambri s’est régulièrement retrouvé dans des situations financières critiques, ne parvenant à sortir de la gonfle que grâce à des dons. Il s’est démené en play-out dix fois lors des 12 dernières saisons. Mais il s’accroche à l’élite sans discontinuer depuis 1985. Dans un hockey suisse dominé par les équipes des grands centres urbains, cela représente en soi une anomalie.
Puissants antagonismes
«Il y a un vrai suspense autour de cette équipe, car si elle tombe en deuxième division, elle ne remontera plus. Cette histoire est fragile, c’est ce qui la rend précieuse, comme l’était la série de victoires du FC Sion en finale de la Coupe de Suisse. On sait bien que cela ne durera pas toujours, alors tant qu’ils existent, on chérit ces petits miracles qui nous font du bien», continue Michaël Perruchoud.
L’auteur romand a «toujours eu un penchant pour Ambri, le même penchant que pour les faibles, pour le village d’Astérix». Depuis qu’il vit avec une Tessinoise originaire d’Airolo, il s’est rapproché du club jusqu’à «être de mauvaise humeur quand l’équipe perd, donc souvent de mauvaise humeur le week-end» et à planter l’action d’un de ses romans à la Valascia un soir de derby contre les «millionnaires» de Lugano qui, dans la romantique Biancoblù, sont les nécessaires salauds de l’histoire.
Cette rivalité tessinoise se nourrit des plus puissants antagonismes: le grand contre le petit, la ville contre la campagne, le banquier contre le paysan, le riche contre le pauvre, la modernité contre la tradition. Elle a inspiré des ouvrages, et changé des vies.
Hans Peter Ramensperger se rendait régulièrement au Stade de Glace de Bienne avant qu’un ami tessinois ne le convainque d’aller assister avec lui à un derby à la Valascia. Les -25 °C dehors, le feu dedans, «la victoire comme une bombe qui explose au milieu de la patinoire», il s’en souvient comme si c’était hier, cela fait pourtant vingt ans, et il n’a plus cessé les allers-retours vers la Léventine.
La boccia avec les fans
Depuis, il compte parmi les nombreux supporters d’Ambri-Piotta réunis au sein de 21 fan-clubs officiels dans toute la Suisse. Une fois par saison, un car est affrété du Seeland vers la Valascia. Ses places s’arrachent. Le reste du temps, la soixantaine de membres se partagent quatre abonnements annuels, de sorte qu’il y ait «au moins une voiture de Bienne lors de chaque rencontre à domicile», lance Hans Peter Ramensperger, en précisant qu’il effectue pour sa part le déplacement une vingtaine de fois par année. Et quand le club traversait des tempêtes financières, il n’a pas hésité à acheter quelques actions. «Ambri, c’est comme ma famille.»
Conscient que sa popularité est une force, le club n’est pas insensible au soutien même modeste de ses supporters. «Nous n’avons pas de mécène qui nous donne des millions, alors nous soignons nos fans en essayant de participer le plus possible à la vie de leurs associations», souligne Paolo Duca. Lors de chacune de ses assemblées générales, le fan-club HCAP Bienne reçoit la visite de deux joueurs de la première équipe, qui restent pour le repas et les parties de boccia. Et ce n’est pas tout, s’enthousiasme son responsable: «A trois reprises, lors de matchs à Bienne, nous avons invité toute l’équipe à manger avec nous, eh bien ils sont tous venus! Même les étrangers! On parle avec eux comme avec des copains, c’est trop beau.»
Chérir les supporters et chanter La Montanara ne suffit toutefois pas. Pour raviver le mythe, le HC Ambri-Piotta doit tenir son rang en National League. La saison dernière, la formation emmenée par Dominik Kubalik s’est invitée en play-off, mais le magnifique Tchèque s’en est allé et l’entraîneur Luca Cereda se retrouve au défi de construire une équipe compétitive avec peu de moyens et la Ligue des champions à disputer en plus des compétitions nationales. «C’est comme si nous repartions à zéro. Nous gardons les pieds sur terre: notre objectif ne peut être que le maintien en championnat», lance Paolo Duca.
Pierre philosophale
Son rôle de directeur sportif revient à manier une drôle de pierre philosophale qui transforme les limites en opportunités. «Nous n’avons pas l’argent pour faire venir les meilleurs, OK. Par contre, nous pouvons offrir plus de temps de jeu et plus de responsabilités à des joueurs qui ne s’en voient pas donner ailleurs et après, il leur appartient de saisir cette chance. Pour rester en National League, nous devons faire savoir aux hockeyeurs que chez nous, ils ont la possibilité de se développer.»
Le chantier de la nouvelle Valascia a commencé à Ambri. Elle sera moderne, fonctionnelle, chauffée. Elle promet au public presque tout ce que la vieille enceinte lui refusait. «Mais que va-t-on perdre en magie?» s’interroge, circonspect, Michaël Perruchoud. Paolo Duca avoue sa réserve lui aussi: «D’un côté, bien sûr que je regrette ce futur déménagement. Mais si l’alternative pour le club est de disparaître, alors cela reste la bonne option!»
Et puis, c’est sûr, il y aura de la glace dans cette nouvelle patinoire. Ne restera aux amoureux d’Ambri-Piotta qu’à y entretenir le feu.
A lire
«4-2 pour Ambri», de Michael Perruchoud (Versus, 2018). Un «road-movie immobile» à la Valascia, un soir de derby contre Lugano, que l’auteur fait vivre à travers le regard de trois personnages bien différents.
Ambri-Piotta, que la montagne est belle!
Pourquoi ce club sans palmarès, basé entre deux hameaux d’une vallée tessinoise isolée et évoluant dans une patinoire vétuste, fascine-t-il toute la Suisse? Eh bien, la réponse est dans la question
A l’heure de la reprise du hockey sur glace en Suisse, «Le Temps» explore pendant une semaine les coulisses de son succès, entre modèles économiques singuliers, joueurs charismatiques et histoires fascinantes.
L’histoire du HC Ambri-Piotta mêle la glace et le feu. Il y a le froid qui engourdit les corps dans les tribunes d’une Valascia ouverte aux quatre vents. Et puis la chaleur qui emporte les âmes les soirs de victoire quand le public entonne La Montanara en chœur avec les joueurs de l’équipe.
Il faudrait, dit-on, être mort à l’intérieur pour pénétrer dans la vieille patinoire sans rien ressentir. Sans être à son tour ensorcelé par ce temple de tôle et de béton qui n’a rien en commun avec les arènes sportives modernes. Par ce club qui défie ce que trente ans de professionnalisme ont enseigné aux dirigeants du hockey suisse en matière d’accessibilité, d’hospitalité, de catering. Et pourtant il existe, il résiste, il excite. La glace de la Valascia et le feu de ceux qui y communient fascinent, loin à la ronde.
Le directeur sportif Paolo Duca sait toute la symbolique de ce maillot biancoblù qu’il a porté durant les trois premières et les dix dernières saisons de sa carrière d’attaquant. «Cette équipe est différente, tout simplement parce que sa réalité n’est pas la même que celle des autres, pose-t-il. Ambri-Piotta subsiste dans le sport moderne sans en respecter les règles, avec des moyens limités mais sans renoncer à ses valeurs. Il représente une certaine identité montagnarde, et un idéal de travail, de lutte, de résistance.»
Comme une anomalie
Ce club est aussi l’antithèse de la «franchise» à l’américaine, qui peut être délocalisée au gré d’un prosaïque changement de propriétaire. Le mythe du HC Ambri-Piotta tient pour bonne part à son ancrage local, dans la vallée de la haute Léventine, à 1000 mètres d’altitude. Ambri et Piotta comptent parmi les dix hameaux de Quinto, 1044 habitants au total, une de ces nombreuses communes périphériques que le développement des grands axes livre à elles-mêmes.
«Cette région symbolise cette Suisse où l’on s’arrête de moins en moins, cette Suisse des trains qui passent vite, souvent par en dessous, regrette l’écrivain (et grand passionné de sport) Michaël Perruchoud. Il y a dans notre pays des régions qui sont dépouillées de tout, qui n’ont plus de gare, plus de poste. Mais en Léventine, il reste au moins Ambri-Piotta. L’histoire de ce club est belle car elle est atypique, et importante.»
Le palmarès de l’organisation affiche bien une lointaine Coupe de Suisse (1962) mais aucun titre de champion. Ambri s’est régulièrement retrouvé dans des situations financières critiques, ne parvenant à sortir de la gonfle que grâce à des dons. Il s’est démené en play-out dix fois lors des 12 dernières saisons. Mais il s’accroche à l’élite sans discontinuer depuis 1985. Dans un hockey suisse dominé par les équipes des grands centres urbains, cela représente en soi une anomalie.
Puissants antagonismes
«Il y a un vrai suspense autour de cette équipe, car si elle tombe en deuxième division, elle ne remontera plus. Cette histoire est fragile, c’est ce qui la rend précieuse, comme l’était la série de victoires du FC Sion en finale de la Coupe de Suisse. On sait bien que cela ne durera pas toujours, alors tant qu’ils existent, on chérit ces petits miracles qui nous font du bien», continue Michaël Perruchoud.
L’auteur romand a «toujours eu un penchant pour Ambri, le même penchant que pour les faibles, pour le village d’Astérix». Depuis qu’il vit avec une Tessinoise originaire d’Airolo, il s’est rapproché du club jusqu’à «être de mauvaise humeur quand l’équipe perd, donc souvent de mauvaise humeur le week-end» et à planter l’action d’un de ses romans à la Valascia un soir de derby contre les «millionnaires» de Lugano qui, dans la romantique Biancoblù, sont les nécessaires salauds de l’histoire.
Cette rivalité tessinoise se nourrit des plus puissants antagonismes: le grand contre le petit, la ville contre la campagne, le banquier contre le paysan, le riche contre le pauvre, la modernité contre la tradition. Elle a inspiré des ouvrages, et changé des vies.
Hans Peter Ramensperger se rendait régulièrement au Stade de Glace de Bienne avant qu’un ami tessinois ne le convainque d’aller assister avec lui à un derby à la Valascia. Les -25 °C dehors, le feu dedans, «la victoire comme une bombe qui explose au milieu de la patinoire», il s’en souvient comme si c’était hier, cela fait pourtant vingt ans, et il n’a plus cessé les allers-retours vers la Léventine.
La boccia avec les fans
Depuis, il compte parmi les nombreux supporters d’Ambri-Piotta réunis au sein de 21 fan-clubs officiels dans toute la Suisse. Une fois par saison, un car est affrété du Seeland vers la Valascia. Ses places s’arrachent. Le reste du temps, la soixantaine de membres se partagent quatre abonnements annuels, de sorte qu’il y ait «au moins une voiture de Bienne lors de chaque rencontre à domicile», lance Hans Peter Ramensperger, en précisant qu’il effectue pour sa part le déplacement une vingtaine de fois par année. Et quand le club traversait des tempêtes financières, il n’a pas hésité à acheter quelques actions. «Ambri, c’est comme ma famille.»
Conscient que sa popularité est une force, le club n’est pas insensible au soutien même modeste de ses supporters. «Nous n’avons pas de mécène qui nous donne des millions, alors nous soignons nos fans en essayant de participer le plus possible à la vie de leurs associations», souligne Paolo Duca. Lors de chacune de ses assemblées générales, le fan-club HCAP Bienne reçoit la visite de deux joueurs de la première équipe, qui restent pour le repas et les parties de boccia. Et ce n’est pas tout, s’enthousiasme son responsable: «A trois reprises, lors de matchs à Bienne, nous avons invité toute l’équipe à manger avec nous, eh bien ils sont tous venus! Même les étrangers! On parle avec eux comme avec des copains, c’est trop beau.»
Chérir les supporters et chanter La Montanara ne suffit toutefois pas. Pour raviver le mythe, le HC Ambri-Piotta doit tenir son rang en National League. La saison dernière, la formation emmenée par Dominik Kubalik s’est invitée en play-off, mais le magnifique Tchèque s’en est allé et l’entraîneur Luca Cereda se retrouve au défi de construire une équipe compétitive avec peu de moyens et la Ligue des champions à disputer en plus des compétitions nationales. «C’est comme si nous repartions à zéro. Nous gardons les pieds sur terre: notre objectif ne peut être que le maintien en championnat», lance Paolo Duca.
Pierre philosophale
Son rôle de directeur sportif revient à manier une drôle de pierre philosophale qui transforme les limites en opportunités. «Nous n’avons pas l’argent pour faire venir les meilleurs, OK. Par contre, nous pouvons offrir plus de temps de jeu et plus de responsabilités à des joueurs qui ne s’en voient pas donner ailleurs et après, il leur appartient de saisir cette chance. Pour rester en National League, nous devons faire savoir aux hockeyeurs que chez nous, ils ont la possibilité de se développer.»
Le chantier de la nouvelle Valascia a commencé à Ambri. Elle sera moderne, fonctionnelle, chauffée. Elle promet au public presque tout ce que la vieille enceinte lui refusait. «Mais que va-t-on perdre en magie?» s’interroge, circonspect, Michaël Perruchoud. Paolo Duca avoue sa réserve lui aussi: «D’un côté, bien sûr que je regrette ce futur déménagement. Mais si l’alternative pour le club est de disparaître, alors cela reste la bonne option!»
Et puis, c’est sûr, il y aura de la glace dans cette nouvelle patinoire. Ne restera aux amoureux d’Ambri-Piotta qu’à y entretenir le feu.
A lire
«4-2 pour Ambri», de Michael Perruchoud (Versus, 2018). Un «road-movie immobile» à la Valascia, un soir de derby contre Lugano, que l’auteur fait vivre à travers le regard de trois personnages bien différents.