Le projet fou de McSorley
Il veut construire une patinoire de 7000 places à Sierre
L’ancien entraîneur et directeur sportif de Genève-Servette a déposé une lettre d’intention pour bâtir une nouvelle enceinte et ramener le club de la Cité du Soleil en National League.
Emmanuel Favre
Publié aujourd’hui à 06h30
Il pleut ce jeudi 28 janvier sur le Cité du Soleil lorsque Chris McSorley (58 ans) se présente à la porte de l’Hôtel de la ville. Dans sa main droite, l’ancien entraîneur en chef et directeur sportif de Genève-Servette tient un courrier qu’il s’apprête à remettre en mains propres à Pierre Berthod, le président de la commune de Sierre. Le message dactylographié est clair: avec des associés, dont l’entrepreneur valaisan Philippe Jorand et le patron d’une fiduciaire genevoise Antonio Canton, l’Ontarien manifeste sa ferme intention de bâtir une nouvelle patinoire dans la ville du Valais central et de prendre des parts dans le club de hockey qui évolue aujourd’hui dans le championnat de Swiss League.
Une idée qui germe depuis 21 ans
Chris McSorley et ses partenaires travaillent depuis plusieurs mois sur la finalisation d’un dossier que nous avons consulté et dont les deux points centraux sont imbriqués. «J’avais mesuré la ferveur du public sierrois en l’an 2000 lors de ma première saison derrière le banc de GE Servette, raconte le Canadien. Aujourd’hui, il est temps de remettre ce club à une place qu’il mérite sur la carte du hockey suisse, en National League.»
‹‹La ligue souhaite que le 14e fauteuil de National League soit occupé par une formation valaisanne, nous voulons être cette équipe››
Chris McSorley, qui souhaite investir dans le capital actions du HC Sierre
Le plan sportif de Chris McSorley consiste à développer une équipe compétitive, capable de dominer la deuxième division et décrocher la 14e place disponible en première division à l’issue de la saison 2023-2024. «La ligue souhaite que ce fauteuil soit occupé par une formation valaisanne, nous voulons être cette équipe.»
Mais cet objectif demeurerait un mirage si le HC Sierre, qui patine dans une patinoire de Graben érigée en 1958 et aujourd’hui déglinguée, ne disposait pas d’un outil de travail moderne et confortable, doté d’espaces qui permettent de générer les revenus indispensables à l’essor de l’organisation. Dans un document intitulé «Condémines 20-30» et édité en novembre 2019, la Ville de Sierre avait prévu de mettre au concours un projet de nouvelle patinoire. Il était question d’étudier la faisabilité d’un stade de glace de 4500 places sur l’actuel emplacement des terrains de football sis à quelques centaines de mètres de la gare. Un non-sens pour Chris McSorley: «4500 places, c’est la capacité d’une arena de Swiss League, une ligue qui n’a pas de vrai modèle économique. L’investissement prévu (ndlr: 50 millions) est, à notre avis, bien trop lourd par rapport au potentiel offert par la deuxième division. Dans une région de plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont de nombreux passionnés de hockey, où il y a de surcroît un fort potentiel touristique à exploiter, cela doit être la National League ou rien. Et le temps presse puisque, après l’équipe qui sera promue automatiquement cette année, il n’y aura plus qu’une place à prendre avant la fermeture de la ligue.»
‹‹Nous voulons aller au bout d’un projet, dont toutes les études montrent qu’il a un énorme potentiel dans une région éprise de hockey››
Philippe Jorand, investisseur valaisan
Professionnel de la construction établi en Valais, Philippe Jorand a imaginé, au même endroit, les contours d’une enceinte de 7000 places dont le coût de construction avoisine les 80 millions de francs, une somme qui serait majoritairement apportée par des investisseurs. «Il est difficile voire impossible de gagner de l’argent avec une patinoire, mais le but n’est pas d’en perdre non plus, explique le frère de Pierre-Yves Jorand, bien connu dans le milieu nautique. Nous voulons seulement aller au bout d’un projet, dont toutes les études montrent qu’il a un énorme potentiel dans une région éprise de hockey.»
‹‹Il est important que le dossier soit traité avec intelligence, diligence et dans le respect de l’histoire du club et de son identité››
Pierre Berthod, président de la Ville de Sierre
A Sierre, l’association des mots «projets» et «patinoire» résonne comme une rengaine rébarbative. Lors des trente dernières années, des dizaines d’idées plus ou moins sérieuses, souvent farfelues et irréalistes, n’ont jamais dépassé le seuil de l’ébauche et ont nourri les pages du journal de Carnaval. C’est probablement la raison pour laquelle Pierre Berthod, qui nous a reçu le 11 février et qui a convié le président du HC Sierre Alain Bonnet autour de la table, adopte la posture d’un président flatté, mais prudent. «Je remercie les gens qui démontrent de l’intérêt pour notre région et qui ont la volonté de positionner notre club dans l’élite du hockey suisse. Cela confirme que nous sommes à un moment charnière, il est important que le dossier soit traité avec intelligence, diligence et dans le respect de l’histoire du club et de son identité.» Le président du club ajoute: «Le HC Sierre, dont la survie est assurée malgré les effets de la pandémie, est un club familial et doit le rester. Nous souhaitons grandir sans perdre nos valeurs.»
‹‹Nous désirons prendre des parts dans le club et souhaitons que les personnes en place continuent à nos côtés››
Tout ça, Chris McSorley l’a bien compris et n’a pas l’intention de changer la culture d’une organisation qui soufflera ses 90 bougies en 2023. «Nous désirons prendre des parts dans le club et souhaitons que les personnes en place, dont le travail est remarquable, continuent à nos côtés. Cette participation n’est pas un caprice, elle est indispensable pour gérer le risque lié au montant de l’investissement dans la future arena, dont la viabilité reposera de façon prépondérante sur les revenus qu’elle générera à travers le hockey.» L’Ontarien n’a pas non plus pour objectif de s’incruster derrière le banc à la place de l’entraîneur actuel, Dany Gelinas. Il devrait ne s’installer dans le Valais central que dans trois ans. ««Selon nos projections, reprend Philippe Jorand, on espère tout mettre en oeuvre pour que la stade puisse être livré à l’horizon de l’automne 2024, avec une équipe en National League.»
L’attrait du plafond salarial
Mais Sierre a-t-il vraiment le potentiel pour s’établir et exister dans la ligue la plus compétitive du pays où le plus petit budget actuel est quatre fois plus important que le sien? «Si on avait un doute, on n’aurait pas déposé notre lettre d’intention, coupe McSorley. En 2024, il y aura un plafond salarial en National League. Croyez-moi, on pourra réunir une enveloppe de 11 ou 12 millions et exercer un vrai rôle dans cette catégorie de jeu.»
‹‹Des matches contre Berne, Lausanne ou Gottéron, cela serait magnifique››
Pierre Berthod, président de la Ville de Sierre
Des mots qui ont des fondements objectifs et qui, cette fois, ne finiront peut-être pas dans le journal de Carnaval. «Des matches contre Berne, Lausanne ou Gottéron, un stade avec deux surfaces de glace utiles pour les écoliers, les cours de patinage artistique, les jeunes hockeyeurs, cela serait magnifique, en convient Pierre Berthod. Il y a clairement une volonté commune de pouvoir concrétiser le projet. Mais le travail ne fait que commencer.»
Mais encore...
Le HC Viège demeure placide
Si Chris McSorley et ses partenaires réussissent à passer de la parole aux actes, ils mèneront une bataille avec le HC Viège, qui a inauguré une nouvelle patinoire dotée de 5100 places en 2019 et qui ambitionne de décrocher l’une des deux places disponibles dans la future National League à 14 clubs.
Il semble en effet clair que ces deux fauteuils ne seront pas occupés par des formations valaisannes. «A Viège, nous voyons toute concurrence comme un atout pour grandir, nous positionner et promouvoir le hockey dans une région périphérique comme le Valais, relativise Sébastien Pico, CEO de l’équipe basée à la Lonza Arena. Nous sommes partenaires du HC Sierre dans les rangs juniors et avons d'excellentes relations avec ses dirigeants. Même avec cette nouvelle donne il n’y a pas de raison que cela change.»
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